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Alors que les Français plébiscitent l’adoption définitive de l’heure d’été, ce choix n’est pas sans effets néfastes sur la santé
Selon les résultats d’une grande consultation citoyenne, les Français préfèrent l’heure d’été à l’heure d’hiver, et l’adopteraient volontiers toute l’année.
Pourtant, l’heure d’été aurait des effets néfastes sur la santé.
A l’occasion de la journée du sommeil ce vendredi, le Dr Claude Gronfier, neurobiologiste, explique les effets qu’aurait le passage définitif à l’heure d’été
Attention, à deux heures, il sera trois heures. Comme chaque dernier dimanche de mars, nous passerons dans quelques jours à l’heure d’été. Mais bientôt, le changement d’heure sera de l’histoire ancienne.
Destinée à réaliser des économies d’énergie, la manœuvre ne s’est pas révélée être d’une grande efficacité, occasionnant plutôt une hausse des accidents de la route et des accidents cardio-vasculaires chaque année durant la semaine qui suit le passage à l’heure d’été. La Commission européenne s’est donc prononcée en faveur de la suppression totale du changement d’heure, qui devrait intervenir en 2021, et les membres de l’Union européenne devront définitivement et à l’unanimité opter soit pour l’heure d’hiver, soit pour l’heure d’été.
Si l’on observe les résultats de la consultation citoyenne qui s’est achevée le 3 mars dernier, l’heure d’été a largement les faveurs des Français. Une tendance qui semble se vérifier dans le cœur de nos voisins européens, visiblement amateurs des longues soirées d’été. Mais « un passage définitif à l’heure d’été serait néfaste pour notre santé », prévient le Dr Claude Gronfier, neurobiologiste, directeur de recherche à l’Inserm Lyon et vice-président de la Société française de chronobiologie. A l’occasion, ce vendredi, de la Journée du sommeil, il nous révèle les effets qu’auraient l’heure perpétuelle d’été sur la santé.
Quels sont les effets délétères du passage à l’heure d’été sur la santé ?
Le changement d’heure nous perturbe l’horloge biologique. Il entraîne un problème de désynchronisation de notre horloge circadienne et crée une dette de sommeil spécifique à ce changement d’heure, puisque l’on perd une heure de sommeil. Chaque année, on observe au moment du passage à l’heure d’été une augmentation des accidents de la route, des infarctus du myocarde et des états dépressifs.
Une large littérature scientifique démontre ces impacts négatifs. Il s’agit ici d’une augmentation de 5 % des pathologies cardiovasculaires, qui se produit systématiquement durant la semaine qui suit le changement d’heure. Certains sont tentés de dire que 5 % ce n’est pas grand-chose, mais ce sont 5 % totalement évitables, donc ce n’est pas rien.
Vous préconisez l’adoption de l’heure standard, ou heure d’hiver. Pourquoi ? Avons-nous,-nous les humains, besoin d’être calés sur le soleil au plan chronobiologique ?
Oui, la vie animale comme végétale s’est développée en lien avec la luminosité solaire. Donc l’heure idéale, d’un point de vue chronobiologique, est l’heure solaire, qui n’est déjà pas l’heure à laquelle on vit, puisque l’on vit à GMT + 1 [GMT correspondant à l’heure du soleil au méridien de Greenwich] et même à GMT + 2 l’été, soit deux heures plus tard que l’heure solaire. Cet horaire crée un jet-lag social de deux heures : nos horaires biologiques et nos horaires d’activités sont décalés.
Si en Europe on choisit l’heure d’été, la totalité des pays va se trouver très en décalage par rapport à l’heure solaire. Pourquoi est-ce si important de limiter ce décalage ? Parce que plus on est à l’ouest d’un fuseau horaire, plus on est décalé par rapport au soleil, ce qui perturbe le rythme circadien. Alors que si on passe définitivement à l’heure d’hiver, on sera en phase avec l’heure solaire au centre de l’Europe. Et ceux qui sont aux extrémités de l’Europe seront soit un peu en avance, soit un peu en retard, mais globalement, on limitera le décalage solaire pour la totalité des concitoyens européens.
Ce jet-lag social provoqué par l’heure d’été a-t-il des effets néfastes sur la santé à long terme ?
Les six mois dans l’année où on est à l’heure d’été, les études démontrent que c’est une période durant laquelle on est en dette de sommeil, parce que le soleil se couche plus tard, et nous aussi. Parce que le soleil est très « activateur », il retarde l’horloge biologique, et retarde donc l’heure d’endormissement. Nous avons besoin d’un temps d’obscurité d’environ deux heures avant le coucher pour envoyer le signal du sommeil à notre organisme. Donc non seulement on se couche plus tard mais, hors vacances, on se lève toujours à la même heure, donc on dort moins, et on accumule une dette de sommeil qui va avoir des conséquences.
Or, on observe depuis de nombreuses années que les populations situées les plus à l’ouest dans leur fuseau horaire, et qui sont donc les plus décalées par rapport à l’heure solaire, présentent le plus de troubles métaboliques, de troubles du sommeil, de troubles de la santé mentale, de cancers et de troubles des rythmes biologiques en général. Si on adopte définitivement à l’heure d’été, on risque d’accentuer ce problème. Des troubles qui aujourd’hui sont plus présents dans la partie ouest de l’Europe.
Notre organisme peut-il s’adapter si l’on passe définitivement à l’heure d’été ?
Non, a priori, la population ne va globalement pas s’adapter, mais certains s’adapteront mieux que d’autres. On observe au passage à l’heure d’été que les couche-tôt/lève-tôt ne s’en sortent pas trop mal, parce qu’à l’occasion du passage à l’heure d’été, on va avancer son réveil donc son horloge biologique. Pour eux, qui ont une horloge interne plus rapide, cela ne posera pas trop de problèmes.
Mais 75 % de la population a une horloge biologique qui a une vitesse de plus de 24 heures, une horloge circadienne plus lente, ce qui explique qu’on a en moyenne plus de troubles après le passage à l’heure d’été. Surtout les couche-tard/lève-tard adultes, et les adolescents, qui vont éprouver plus de problèmes parce qu’ils vont se retrouver dans la situation de ceux qui vivent le plus à l’ouest d’un fuseau horaire.
Si on abandonne l’heure d’hiver, est-ce qu’être à l’heure d’été durant l’hiver sera problématique ?
Non, ce ne sera pas grave l’hiver. Sauf qu’il y a un point que les gens n’anticipent pas : en hiver, dans certaines villes de France, le soleil se levera à 10 heures le matin. Déjà que 9 heures, ça nous paraît tard, là, ce sera pire. Parce que l’on a toujours tendance à penser à l’heure de coucher du soleil, mais on oublie que cela signifie aussi que le soleil se lève plus tard.
Or, la littérature scientifique montre que plus le soleil se lève tard, plus on va développer de troubles affectifs de type dépression saisonnière. Entre 10 et 20 % de la population développe ce trouble, et on pense que c’est non seulement dû au fait qu’il y a moins d’heures d’ensoleillement en hiver, mais aussi parce que le soleil se lève plus tard. Donc les troubles de ce type seront encore plus nombreux.
Pour résumer, le passage définitif à l’heure d’été, ce serait la double peine : grosse dette de sommeil l’été et encore plus de dépression saisonnière l’hiver.
Mais pourquoi les Français ont-ils plébiscité l’heure d’été alors ?
Cette « double peine », c’est ce à quoi nous, chronobiologistes, nous attendons. C’est pourquoi on espère que l’Europe se prononcera pour l’heure d’hiver, même si la consultation française n’a pas donné les résultats que nous attendions. Je pense que c’est le résultat d’un manque d’information de la part des gouvernements et des scientifiques, le travail de pédagogie n’a pas été fait. Il n’y a sans doute pas eu de la part de nos politiques une prise de conscience suffisante des problèmes sanitaires qui en découleraient.
En pratique, les gens n’ont donc pas répondu à la question : « préférez-vous l’heure d’hiver ou l’heure d’été ». Ils ont interprété cette question comme : « préférez-vous l’hiver ou l’été », et évidemment, tout le monde préfère l’été. Les gens ont oublié que la photopériode naturelle fait que, de toute façon, le soleil se couchera cinq heures plus tôt l’hiver et cinq heures plus tard l’été.
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